Entre poésie urbaine, engagement politique et réalité concrète, Hicham Karkouch, défend une ville végétale, baignable et inclusive.

Il est architecte-paysagiste au sein de l’agence internationale OMGEVING, et milite avec BALA (Belgian Association of Landscape Architects) pour une meilleure reconnaissance de la profession et pour renforcer les liens entre citoyens et territoires.

Nous avons eu le plaisir d’échanger avec lui sur son parcours, ses inspirations, et sa vision pour les villes en transition, notamment autour de la question de la baignadurbaine.

Bonjour Hicham, pourrais-tu te présenter ?

Je suis architecte-paysagiste et je vis à Bruxelles. J’exerce ce métier à la fois avec passion et avec la conviction qu’il est au cœur des enjeux contemporains : repenser nos espaces, redonner leur place à la nature, permettre à chacun·e de vivre mieux, plus dignement, dans des villes plus respirables, plus végétales et plus belles.

Un métier au croisement du vivant et du sensible

On imagine parfois les architectes-paysagistes comme des rêveurs un peu déconnectés, ou au contraire comme des techniciens froids. Moi, je veux déconstruire cette idée. Ce que je fais, ce que nous faisons, c’est écouter, percevoir, toucher, ressentir. Mon métier me permet autant de dessiner les plans d’une future place publique que de choisir une pierre en carrière, une plante en pépinière, de goûter les produits d’un terroir, de débattre avec les citoyen·nes ou de marcher dans les bois en hiver. L’architecture du paysage, c’est une affaire de sens. Tous les sens.

Hedera helix arborescens – Rotterdam, 2023

Je suis aussi papa. Mon fils Lyess m’inspire beaucoup dans ce que je fais. Il me rappelle à quel point l’espace public devrait être pensé pour tous les âges, toutes les générations, toutes les classes sociales. Quand on devient parent, on comprend à quel point le cadre de vie est essentiel. Et c’est aussi un rappel très personnel, très concret, que notre métier n’est pas du tout abstrait ou « déconnecté », bien au contraire.

Hicham Karkouch et son fils Lyess dans le centre de Bruxelles – “Seulement quatre arbres à l’horizon…”

Un fil rouge : l’écoute

S’il y a une chose que je défends à travers tous mes projets, c’est la dimension collective. Un projet réussi, c’est la somme de plusieurs intelligences, de sensibilités différentes. L’écoute, la patience, la négociation, le respect du temps long : ce sont des valeurs fondamentales pour moi.

Quel est ton rôle au sein de l’agence internationale OMGEVING ?

Chez OMGEVING je travaille donc sur des projets à haute valeur ajoutée. J’ai un rôle très varié, à l’image de mon métier. En gros je vais de la réalisation à la conception. Plus spécifiquement, il s’agit autant de penser des espaces publics, de mener des études territoriales ou environnementales, que de participer à des ateliers participatifs, de défendre des idées ou de coordonner des équipes pluridisciplinaires.

Un projet qui me tient particulièrement à cœur est celui du Parc de Neerpede, à Bruxelles. Nous y avons travaillé à la renaturalisation de la rivière, à la revalorisation écologique du site, et à l’intégration du premier site de baignade en plein air de la capitale. C’est un projet exemplaire qui montre comment une approche environnementale, sociale et paysagère peut transformer un lieu.

Etang de baignade de Neerpede – Bruxelles. Crédit : OMGEVING

OMGEVING : une agence au service de la transition

OMGEVING est agence multidisciplinaire regroupant environs 80 professionnels. C’est une coopérative ce qui est assez rare dans le milieu. En plus de ça l’agence est certifiée B CORP (Label à la renommée internationale. Progressiste et exigeant, il reconnaît les bonnes pratiques des entreprises en termes d’impact social, sociétal et environnemental, et dessine un chemin de progrès et de transformation au cœur de leur modèle d’affaires.).

Tu es également secrétaire de BALA l’association qui fédère les architectes-paysagistes Belges. Quelle est précisément ta mission ?

Je suis le nouveau secrétaire de BALA (Belgian Association of Landscape Architects). Aujourd’hui, avec BALA, on repense tout : notre identité, nos actions, notre rayonnement. On veut renforcer les ponts entre les communautés linguistiques, entre le monde académique et le monde professionnel, et surtout, rendre notre métier visible, compréhensible, désirable.

Faire rayonner les architectes-paysagistes belges

Je m’inspire beaucoup de René Pechère, grand architecte-paysagiste belge qui a participé à la fondation d’IFLA (International Federation of Landscape Architects) à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale (1948). Dans son sillage, BALA souhaite reprendre un rôle actif à l’échelle européenne et internationale. Nous sommes devenus partenaires du New European Bauhaus en 2024, et cette année, nous accueillerons en 2025 l’Assemblée Générale d’IFLA Europe et organiserons une conférence majeure intitulée « New Urban Landscapes » le 16 et 17 Octobre.

Et je le répète souvent : nous sommes les seuls architectes à étudier les sciences naturelles tout en concevant des espaces. Nous sommes les architectes du vivant. Il est temps de le faire savoir.

Assemblée Générale IFLA Europe réunissant 34 associations nationales d’architectes-paysagistes – Budapest, 2024. Crédit photo : Attila Tóth

Plusieurs compétitions aquatiques ont été organisées dans la Seine lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Et trois sites de baignades ouvriront à Paris en 2025.

Peux-tu nous parler de ton engagement pour des villes propices à la baignade et pourquoi ?

C’est une cause qui me touche profondément. Je suis Bruxellois, et Bruxelles n’a plus de site de baignade en plein air depuis… près de 50 ans !

La baignade urbaine, une affaire de justice sociale et environnementale

Quand j’étais petit, c’était une vraie galère de trouver un endroit où se rafraîchir. Les piscines étaient hors de prix, les carrières interdites, et quand on tentait de rejoindre un lac en dehors de Bruxelles, on se faisait parfois accueillir à la gare par des combis de police.
C’est à la fois une injustice sociale — car ce sont souvent les jeunes des quartiers populaires, sans jardin ni espace public de qualité, qui souffrent le plus de la chaleur — et une injustice environnementale.

Aujourd’hui, il faut repenser notre rapport à l’eau, à l’espace public, à la justice climatique. Se baigner en ville ne devrait pas être un luxe : c’est un droit. Et une ville qui permet ça devient tout de suite plus douce, plus belle, plus vivante.

“Les fontaines à eau comme seuls moyens de se rafraichir pour les Bruxellois” Place Flagey, 2019.

Est-ce que cela pourrait être applicable à toutes les villes dans le monde et selon toi quels sont les principaux défis ?

Oui, oui, oui et oui ! C’est possible partout — si on le veut vraiment. Les freins sont souvent psychologiques avant d’être techniques : on a appris à avoir peur de l’eau en ville. On l’a enterrée, canalisée, oubliée dans bien des villes d’Europe.

Des villes baignables, c’est possible — et déjà en marche

Regardez les pays scandinaves. Cela fait des décennies qu’ils investissent dans la qualité de l’eau. À Copenhague, à Stockholm, à Oslo, on se baigne en ville comme on va au parc. Il y a des échelles partout, des plateformes, des douches, des indicateurs de qualité de l’eau en temps réel. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est une réalité.

À Bruxelles, on y travaille. Avec des collectifs comme POOL IS COOL (mené par Paul Steinbrück), Outdoor Swimming Belgium, ou encore Waterland, nous faisons bouger les lignes. Le réseau Swimmable Cities porté entre autres par Matt Sykes (aussi architecte-paysagiste) donne une dimension internationale à ce combat : j’en suis signataire depuis 2024, et OMGEVING est le premier bureau belge à avoir signé la charte. D’ailleurs nous nous rendrons au Sommet de Swimmable Cities organisé du 22 au 24 juin 2025 à Rotterdam.

Islands Brygge conçu par Julien De Smedt, un Belge ! – Copenhague. crédit : Lauge Elkær Furhauge

Les défis : techniques, politiques… mais surtout psychologiques

On connaît les problèmes : pollution, conflits d’usages, infrastructures vieillissantes. Mais le plus grand obstacle, c’est l’imaginaire. C’est de penser que ce n’est pas possible, que l’eau en ville est forcément sale, dangereuse, inaccessible.

Or, on a les moyens d’agir : en identifiant les bons sites, en monitorant la qualité de l’eau en temps réel (comme le fait Pieter Elsen avec l’asbl City to Ocean), en informant les citoyens via une app, et en repensant les usages du canal — notamment dans sa partie sud, où les péniches passent à une fréquence très faible.

“Baignade pirate dans la partie sud du Canal de Bruxelles” Bruxelles, 2019

L’eau comme matrice urbaine

L’eau n’est pas un simple décor : c’est un révélateur d’inégalités, un vecteur de transformation, un patrimoine oublié.

À Bruxelles, nous avons enterré la Senne, asséché nos marais, détourné nos sources. Aujourd’hui, certaines de ces sources sont connectées directement aux égouts, comme le montre le travail de Henri Lebbe et de l’asbl herbronnen.ressources. Il est temps de retrouver ce lien à l’eau, de réinvestir notre géographie oubliée. N’oublions pas que Bruxelles vient de Bruocsella et qui veut dire le « village sur le marais » !

Grande fête nautique au bassin Vergote, 1928 – Bruxelles.

Un message pour les détracteurs de la baignade urbaine ?

Allez passer un été à Copenhague, Stockholm ou Oslo. Revenez, et dites-nous si c’est vraiment une mauvaise idée de pouvoir se baigner dans sa ville.

Ce que je défends, c’est une ville où l’on peut respirer, se rencontrer, ralentir, se rafraîchir. Une ville qui soigne autant qu’elle inspire. C’est une vision optimiste, oui. Mais surtout une vision réaliste et urgente.

Qu’est-ce qui t’inspire en ce moment ?

Ce qui m’inspire, c’est le courage politique. Et Paris m’a vraiment bluffé. La maire Anne Hidalgo a compris qu’il fallait transformer la ville aujourd’hui pour survivre demain. Assainir la Seine, rendre les rues aux piétons, végétaliser massivement : ce n’est pas juste du greenwashing, c’est un vrai projet de société. Et puis il y a ce moment incroyable : les épreuves des Jeux Olympiques dans la Seine. Le monde entier voulait que ça échoue. Et pourtant… ils l’ont fait.

C’est un signal fort. La baignade ne sera pas un simple gadget, ce sera l’héritage des JO 2024. Ce qu’a fait Paris, d’autres villes peuvent le faire. À condition de le vouloir vraiment.

A bridge with a body of water and a statue

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Credits : AFPMiguel MEDINA

Merci beaucoup Hicham Karkouch pour cet échange et ta participation active à cette édition. Si vous souhaitez prendre contact avec lui, vous pouvez le retrouver sur LinkedinInstagram et par mail chez OMGeving et BALA.