S’il est question de renouer avec un sol vivant dans les villes, cela veut-il dire que nous vivons sur des sols morts ? Comment repenser le sol si les communes doivent aujourd’hui déployer des stratégies de renaturation et de désimperméabilisation ? Les villes ont le pouvoir de redorer leur territoire vers une transformation verte, mais en ont-elles les moyens ?

Les solutions foisonnent dans le domaine public, désormais en chasse vis à vis de l’artificialisation des sols. Cette année, l’Europe a d’ailleurs accordé son feu vert pour légiférer sur la santé du sol : une victoire pour la biodiversité ! Quant au privé, les entrepreneurs se surpassent en innovations avec des entreprises toujours plus nombreuses. Par exemple : le recyclage des terres inertes excavées des chantiers, ou les sondes hydrométriques pour les réseaux racinaires.

Oui, le sol est vivant !

1/4 de la biodiversité mondiale se trouve dans le sol

Lorsque l’on parle de biodiversité, savez-vous que pour 1/4 de celle-ci, il s’agit du sol ? Il y aurait ainsi 1kg de masse vivante par m² de sol, avec une concentration de presque tous les habitants du sol sur les 10 premiers centimètres de surface ! Selon Marc-André Selosse, Professeur au Muséum national d’histoire naturelle et spécialiste des champignons, lors du podcast Daily Green du 14 novembre 2025, sous 1 hectare de sol il y aurait l’équivalent de 200 moutons de taille moyenne. L’absence de lumière, l’humidité et la matière organique sont les conditions idéales pour des millions d’espèces souterraines. Les insectes se nourrissent des plus gros éléments du sol. Par milliards, les acariens, bactéries et champignons, désagrègent les plus petits éléments. Les limaces structurent la surface grâce à leur mucus.

Les vers-de-terre, qui ne sont pas moins que la plus grande biomasse vivante sur terre, labourent verticalement et restituent la terre prédigérées sous la forme de tortillons. Le sol est donc un équilibre écosystémique très peuplé, une “usine de préparation des nutriments” et de rétention d’eau pour les plantes, qu’il convient de connaitre et de préserver, au même titre que l’eau potable ou l’air que nous respirons (Vidéo 2022, Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes, OFB, ADEME).

La qualité des sols urbains : un défi à relever pour les communes

En ville, le sol est privé de toute ses couches supérieures vivantes, étant réduit à un support imperméable et sans matière organique. Sous les routes, les parkings ou les centres villes, nous pouvons donc considérer que le sol bétonné est un sol mort. Or, lorsque l’on observe le bord des routes ou des trottoirs par exemple, la nature reprend tous ses droits. Selon une étude de 2025 menée par l’Observatoire des villes vertes, 93% des villes sont conscientes de l’importance des sols urbains, mais seulement 1/3 d’entre elles en font une priorité dans leur plan de résilience face aux changements climatiques.

Il y a donc un écart entre la conscience et l’action, sachant que cette dernière privilégie le visible au détriment d’une réelle connaissance de l’écosystème du sol. Des budgets doivent être libérés pour former les techniciens à la biodiversité du sol et déployer de réelles stratégies de perméabilisation et de création de nouveaux espaces. Malheureusement, les communes sont nombreuses à déplorer les contraintes budgétaires et la pression foncière (Etude 2025 de l’Observatoire des villes vertes, Plante & Cité et l’Institut de la transition foncière).

La création d’espaces de pleine terre en ville : c’est parti !

Parmi les villes pionnières qui montrent la voie, des projets sont menés pour favoriser la résilience urbaine. Par exemple, Reims vise à offrir un espace vert à moins de 300 mètres de chaque logement, tout en renaturant d’anciennes friches. Grenoble transforme d’anciennes routes en bosquets. Royan a remplacé une ancienne décharge par une mini-forêt. Montpellier crée des jardins de pluie pour désimperméabiliser les cours d’écoles (Etude 2025 de l’Observatoire des villes vertes, Plante & Cité et l’Institut de la transition foncière).

Les collectivités en manque d’idées peuvent se faire accompagner par des organismes tel que le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), établissement public qui propose également des fiches de solutions et de retour d’expérience sur la végétalisation du sol, la désimperméabilisation, l’infiltration et la réutilisation des eaux pluviales, l’implication les citoyens dans la renaturation de leur quartier (accéder aux fiches).

L’artificialisation des sols est aujourd’hui une préoccupation des pouvoirs publics

Favoriser l’infiltration et la réutilisation des eaux pluviales

Dans sa fiche n°3 de 2020, le Cerema présente la requalification urbaine du boulevard Garibaldi à Lyon, née d’une volonté politique forte de réduire la place de la voiture au sein de la ville au profit du développement de modes doux de transports et d’aménagements paysagers avec une gestion alternative des eaux pluviales. La commune a ainsi créé 4 500㎡ d’espaces verts, 248 nouvelles plantations en plus des arbres conservés, 3 000㎡ de surface désimperméabilisée. Le coût s’est élevé à 31,8 M€ avec une subvention de 1 M€ de l’Agence de l’Eau. L’espace public offre désormais une promenade piétonne arborée, une piste cyclable à double sens, un bassin enterré récupérant les eaux de pluie. Les bandes plantées, véritables corridors écologiques, sont un lieu de reconquête de la biodiversité mais aussi d’infiltration des eaux pluviales.

La méthode met en avant les noues : fossés enherbés et plantés dans les zones urbaines propres, entre les trottoirs et les pistes cyclables. Elles permettent l’infiltration des eaux dans les sols, alimentant ainsi la nappe phréatique et les plantations. En cas de pluie abondante et de débordement, les eaux de surverse s’écoulent dans des regards reliés au bassin enterré. Par ailleurs, l’ombrage et l’évapotranspiration générés par les 4 500 m2 d’îlots végétalisés plantés en continu sont une source de fraicheur et permettent donc de limiter les îlots de chaleur. Au niveau du sol, une étude a été menée pour favoriser le développement des racines et des micro-organismes, le stockage de l’eau et l’accueil de la petite faune (vers de terre, taupe…).

Première loi européenne sur la santé des sols en 2025

60 % des sols européens sont en mauvais état en raison de l’urbanisation, des faibles taux de recyclage des terres, des pratiques agricoles intensives et du changement climatique.

Alors que la Commission Européenne avait proposé la directive sur la surveillance des sols en 2023, les députés européens ont soutenu la toute première loi européenne sur la santé des sols en octobre 2025. Une avancée historique, plébiscitée par les associations environnementales. Sans contraindre les agriculteurs et les sylviculteurs, la loi demande à tous les états membres de l’Union Européenne qu’ils surveillent et améliorent la santé des sols, pour parvenir à des sols sains d’ici 2050 (Article d’Euractiv, 2025).

Dans le cadre de la loi Climat et résilience adoptée en 2021, la France s’était déjà fixée l’objectif d’atteindre le ZAN soit le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050. Cette loi ZAN du 20 juillet 2023 a permis de renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols et la réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les prochaines années (Article du Ministère de la Transition, 2025). Selon Pierre-Yves Mahieu, Maire de la commune de Cancale (Ille-et-Vilaine) interviewé en juin 2024 par l’émission C dans l’air, il est difficile d’allier écologie et développement économique, notamment dans la construction de nouveaux logements. Cette loi divise donc sérieusement les choix politiques où l’urgence social se heurte à l’urgence environnementale.

Une nouvelle économie circulaire pour la terre

Les ENAF (Espace Naturel, Agricole et Forestier) ont été détruits au profit de l’artificialisation des sols, dû à l’étalement urbain (construction d’infrastructures routières, parkings, habitations, parcs) mais aussi à cause du décapage des sols, qui sont utilisés pour fournir les villes en terre naturelle afin de construire des espaces verts. Selon l’entreprise engagée Terre Utile, le secteur du BTP est le premier producteur de déchets en France, dont environ 90% sont des déblais inertes. L’objectif est donc de recycler les terres excavées des chantiers qui sont normalement destinées à la décharge, pour les transformer en terre végétale avec les mêmes caractéristiques qu’une terre végétale naturelle décapée dans la nature.

Ce nouveau type de solution résiliante s’installe directement sur les chantiers pour réduire l’empreinte carbone et recycler directement les sous-sols. Véritable alternative écologique en circuit ultra-court pour la réduction des impacts et des déchets, elle est aussi une promesse d’avenir pour fournir aux futures villes vertes de la terre végétale et vivante.

Fabrication de racines en ville

Dans la continuité des entreprises engagées, Urbasense installe des sondes connectées au sein des espaces verts pour mesurer la disponibilité en eau, et ainsi adapter les interventions d’arrosage. La tensiométrie permet donc de suivre en continu l’état d’humidité du sol, ce qu’on appelle la valeur de tension hydrique ou l’énergie déployée par la racine pour extraire l’eau de ce sol. Les bénéfices écologiques sont réels : réduire le nombre de tournées d’arrosages par agent soit une économie d’émissions de gaz à effet de serre, réduire de façon efficace et intelligente le gaspillage de l’eau, suivre la croissance du réseau racinaire et contribuer réellement à la bonne santé du végétal.

Dans le cadre d’implantation de nouveaux espaces verts en ville, le stress hydrique est souvent la cause de mortalité de la végétation. Selon Urbasense, l’ancrage racinaire d’une jeune plantation détermine son succès à moyen et à long terme. Dans l’optique de réussir la transition verte des communes, il est donc nécessaire d’optimiser la durabilité des projets, jusque dans le sol !

Même si la réconciliation entre les villes et le sol semble certaine dans les consciences, elle reste cependant timide dans la réalité. La méconnaissance de ce vivier de la biodiversité est une première entrave aux stratégies de résilience des collectivités. Pire, même si la 7ème limite planétaire sur 9 a été récemment franchie, et que l’Europe accélère les pourparlers pour nous permettre de vivre sur des sols sains, les budgets en la matière ne sont pas du tout au rendez-vous.

Cependant, les nombreuses initiatives de sensibilisations, d’accompagnements et d’innovations sont porteuses d’espoir et de connaissances sur le monde qui nous entoure. Il n’y a plus qu’à espérer que la magie opère ! Si toutes les parties prenantes arrivent à oeuvrer ensemble pour construire un monde plus écologique, le sol devrait pouvoir retrouver des couleurs.

Bibliographie :

  • Vidéo collective du Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes, L’Office français de la biodiversité (OFB) et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), avec l’appui de la Chambre régionale d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes et du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation
  • Etude de l’Observatoire des villes vertes, Plante & Cité et l’Institut de la transition foncière
  • Fiches de désimperméabilisation et renaturation des sols du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema)

Pour aller plus loin :